« Ils auraient mis les bêtes à coucher dans l’église »

Un petit tour dans les archives….

                                                                             Des paroissiens bien indociles.

Chatonnay, Jura, 1722-1747.

Le vieux curé de Chatonnay, nommé Guichard, porte un regard très désabusé sur ses paroissiens avec lesquels il fut souvent en conflit durant 20 ans.

Méfiance, réticences, procédures, contraintes et résistances jalonnent leurs relations. Ceci étant dit, les nombreuses charges qui pesaient sur les villageois, et surtout la tenacité avec laquelle le curé faisait valoir ses droits, n’incitaient sûrement pas à une grande amitié. Il a laissé une longue chronique dont il explique les motivations.

« Je n’écris tout ce cy que pour m’amuser et passer le temps et pour amuser le lecteur qui apprendra des faicts et des petites circonstances qu’il sera bien aise de scavoir,  j’obmets bien des choses que la mémoire ne me fournit pas, c’est un journal fais dans (durant) deux jours que je ne scavois que faire et sur la fin de mes jours et pour remplir les feuilles blancs de ce registre »

 

 

 

 

Immersion dans le quotidien d’un village.

«J’ay fait planter les charmes qui sont dans le prieuré et celles qui sont sur le cimetière, j’avois aussy fais planter plusieurs tillots (tilleuls à petites feuilles) sur la place publique mais les enfans et les bettes ne les y ont pas voulus souffrir ».

Il en reste encore amer bien des années plus tard :

« Au mois de febvrier de 1740 j’ay encore fait planter six tillots sur la place, je doute fort qu’on les y laisse, si on avoit pas arraché ceux que j’avois fait planter il y a plusieurs années, ils seroient déjà beaux »

Lorsqu’il prend possession de la cure, il cherche des titres pour savoir à combien s’élève le prélèvement de la dîme :

« Je n’ay trouvé aucun papiers en entrant dans le bénéfice, je n’ay perçeu les revenus que sur la bonne foy des paroissiens, laquelle cependant il ne faut pas se fier ».

On sait cependant grâce à lui que le curé prélève 1/16e des récoltes et des croîts du cheptel pour l’Eglise.

 

Le logement du curé

Le curé réclame la construction d’un presbytère pour loger. En attendant son érection, il convient avec ses paroissiens que ceux-ci lui versent 30 Livres par an pour son logement ( une aide au loyer en quelque sorte).

Les deux tiers de la somme « tombes en la charge de la communauté de Chatonay et l’autre tiers à celle de la communauté de Dramelay la Ville (village voisin), de 1732 à 1744 je n’ay pus tirer un sol de ladite somme de la communauté de Chatonay que par requeste et par ordonnances signifiées (en faisant intervenir la justice), comme on peut le voir cette communauté ne paye au condroit que par jugement et contrainte, il n’en est pas de même de celle de Dramelay, tous les habitants sont de bonne intelligence (entente) et bien unis, ils payent tant qu’ils peuvent pour éviter les frais, mais parmis les habitants de Chatonnay, il n’y a point d’union, d’intelligence, de concorde, ils ne s’accordent point, ils ne viennent à bout d’aucune affaire, ils ont passés quinze ans sans me payer quatre Livres seulement par an pour le pain et le vin quoy que je les ay demandé tous les ans la échevinage (aux échevins, équivalents du maire actuel). Enfin je suis venus à bout de les forcer de me donner de l’argent pour commencer la maison curiale en 1744 et c’est par une requête présentée…qui les oblige à faire ».

Mais la construction (coûteuse et aux frais de la paroisse) ne sera apparemment pas un long fleuve tranquille pour notre ecclésiastique dont les paroissiens sont décidément plein de mauvaise volonté à son endroit :

« On peut bien juger combien elle (la construction) me coute, elle me coute déjà bien des peines et des soins pour faire agir les paroissiens qui étoient obligés de voiturer tous les matériaux, pour faire agir les ouvriers surtout les massons à qui il falloit fournir tous les matériaux sur place, on ne peut comprendre combien de bois il leur falloit trouver pour faire des portes…et combien ils ont brisés, gatés de chevrons, de planches, de cordes…

La maison curiale étant faite, je travaillay à obliger les paroissiens à clorre la place destinée pour le jardin, …les chariots y passoient, les joueurs de quille y mettoient leur but, tout le monde y passoit par ce chemin pour aller à l’église et au cabaret, la nuict comme le jour, c’étoit là une grande servitude pour le presbitère; trois ans se sont passés pour faire clore ce jardin nonobstant trois ordonnances de l’intendant qui ordonnoit qu’il fut fermé à chaux et sable de six pieds de hauteur , je n’en serois pas venu à bout s’il n’y avoit eu prise de corps (arrestation) sur les échevins et sur les principaux de la paroisse, combien de larmes et de chagrin, trois requestes et une sommation toutes signifiées à deux communautés, les paroissiens s’imaginoient n’être pas obligés de fermer le jardin et quand ils s’y sont vus forcés, ils pensoient qu’ils étoient ruinés, et il n’en a pas couté aux plus riches, aux plus commodes, quarante sols argent débourcés ».

Notons que le curé a fait installer des « sanitaires » fermés avec une porte.

« Le cimitière de Chatonay fut interdit (le curé estime qu’il a été profané et donc il est interdit d’accès et d’usage jusqu’à ce qu’il le réconcilie) pendant 1741 et 1742 parce qu’il n’étoit pas (en) état.

Trois femmes et un homme furent inhumés dans l’église pendans ces années susdites et sans l’interdit il ne seroit pas encore clot, toutes les bêtes paturoient (paissaient) sur le cimitière, les voisins l’ouvroient de tout coté pour y mettre leur bestes et les auroient dans peu de temps mits (à) coucher dans l’église si je n’avois pas fait interdire le cimitière ».

Il raconte aussi que vers 1720-1725, « presque toute la naif (nef) de l’église de Chatonay tomba le jour de Noël après que le marguilier eu sonné l’angélus le soir et fermé la porte, il n’y avoit qu’une demie heure que j’en étois sorti pour aller coucher à la Boissière ».

« La petite cloche de Chatonay qui pèse environs deux cent trente livres fut fondue le dix du mois de novembre 1722 à Chatonay par les maitres Gousset frères et elle fut bénite par je soussigné…le parrain fut Joseph Maire…la marraine fut Claire Guillermet, leur nom sont mis sur ladite cloche avec celuy du soussigné (Guichard) qui y fit mettre aussy ces parolles…. » « Laudate dominum in cymbalis benesonantibus »

Mais il rajoute que « jusqu’à ce que l’église se fusse rétablie, on suspendit cette cloche au tillot ou orme qui est sur la place et un enfant la cassa ou en sonnant ou d’un coup de pierre»

Le récit suivant relate non sans ironie, le conflit qui l’a opposé avec le prêtre Bouquerod. Notre curé le met en possession de la chapelle Ste Barbe (qui sert d’église le temps que les travaux de la nouvelle avancent). Néanmoins ce dernier doit en faire le service (10 messes par an) contre rémunération du chapelain nouvellement nommé (et sûrement absent).

« Je ne luy demanday aucune sûreté (garantie), je m’en fiay à sa parole d’honneur, il a possédé cette chapelle pendant onze ans, j’en ay fait le service, je l’ay requis à me satisfaire (à me payer) par plusieurs lettres envoyés par expres sans me donner aucune réponse, à la fin trois ou quatre ans avant sa mort, il me répondit que citost que sa servante seroit guérrie, il viendroit me payer ; il faut que cette servante ayt été malade pendant trois ou quatre ans puisqu’il est mort sans me donner un sol. Ses héritiers (c’est une nièpce -nièce- seule héritière…), cette héritière, en héritant des Louis (pièces de monnaie) de son oncle, hérita aussi de son honneur. Elle a fait bombance des Louis pendant trois ou quatre ans mais, petite figure de l’honneur, elle s’est moquée de ma demande, elle est aujourd’hui misérable à la charité des gens charitables (elle refuse la charité, c’est-à-dire le paiement de ce que son oncle devait, à quelqu’un de charitable comme s’estime être notre prêtre) ; du vivant de ce chapelain, la chapelle tomboit en ruine, deux cordons attachés à la voute étoient déjà tombés, les deux autres alloient tomber, elle étoit toute de platre, la vitre étoit bouché avec de la paille, il étoit informé du désastre de a chapelle, il n’y a jamais mit un sol de réparation pendant onze ans ».

 

 

Je finirai par deux faits divers relevés dans ses registres : le décès de Marie Prost, femme de Jean Claude Guichard, laboureur de Chatonnay, âgée de 55 ans qui meurt le 24 décembre 1746 « tuée sous la ruine de sa maison ».

 

 

 

 

 

 

Et enfin, une autre Marie Prost, femme de Jean Claude Bonin, laboureur, âgée de 30 ans qui meurt le 17 septembre 1747 et qui « fut tuée par un coup de foudre de tonnerre sans donner aucun signe de vie dans la prairie de delà le pont de Chatonay, (re)venant d’Arinthod avec sondit mari ».

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