Les Valziniennes du mois – Nathalie et Stéphanie VUITTON

 

                                 par notre équipe d’envoyés spéciaux à Ugna

 

VePM             Mesdemoiselles, Bonjour

            Vuitton ! Une marque qui  fait rêver les dames, mais qui fait pleurer les hommes quand ils reçoivent la facture. J’ai rencontré pas mal de Vuitton dans la région, et quand je leur parlais de leurs nombreux homonymes, ils me disaient «pas de parenté». Et pourtant, quelque part, vous descendez bien de Louis, né en 1821 ? Vous avez fait des recherches?

Nath et Steph  Effectivement notre grand’oncle qui a travaillé sur l’arbre généalogique a établi que 5 générations nous séparaient de notre célèbre ancêtre. Ce n’est pas si vieux …A Ugna notre grand-père a créé le bergerie en 1969.

VePM             A mon arrivée dans la région, j’ai connu 4 demoiselles Vuitton. Que sont devenues vos sœurs?

Nath et Steph L’aînée Isabelle est professeur de biologie à Troyes. Céline, jumelle de Nathalie fait d’excellents gâteaux dans sa pâtisserie de Dortan, vers Oyonnax. Et nous deux avons repris de notre papa Rémy l’exploitation de la bergerie La Bélinette. On est tombées dedans quand on était petites !

Une Bélinette? Ne cherche pas dans le Larousse, c’est un petit mot doux de patois pour désigner une brebis! Quant à la bergerie ainsi nommée ça représente 800 m2 de bâtiments, 95 ha de terrains.

 

VePM Chapeau … ça fait beaucoup de boulot pour vous deux? Sans aide ?

Nath et Steph  Papa, qui est à la retraite, dont le premier métier est bûcheron, s’occupe de ses bois, mais met la main à la pâte pour les foins, les semis, etc, mais de moins en moins.

Et nous faisons appel à une apprentie, Justine, qui par chance connaît déjà cet environnement. D’accord c’est dur mais quand on aime on ne compte pas ses heures …

 

VePM             Vous avez dû faire quelles études pour assumer tout ça?

Nath et Steph Nath s’était d’abord dirigée vers l’horticulture, Steph a passé un BTS à Montmorot.

 

 VePM  Vous êtes plusieurs jeunes femmes à diriger des exploitations agricoles importantes en Petite Montagne. Géraldine à Ugna, Stéphanie Mathon à la Ferme de Bellecombe, à Vogna, Nathalie Jacquet à Soussonne,  pour ne citer qu’elles.

C’est une spécialité régionale ?

Pensez-vous tout comme moi que la place de l’homme est dans son hamac, au soleil, un verre à la main, en attendant 11:30 pour rejoindre les copains au bistrot pour l’apéro? Parce que j’ai parfois du mal à faire accepter mes principes!

Nath et Steph Non ne rêve pas on a largement de quoi occuper les hommes aussi ! Pas de tire-au-flanc chez nous !

VePM   Et le cheptel ?

Un peu plus chaque année !

Combien de brebis et d’agneaux en 2021 ?

J’ai essayé de les compter mais bien sûr je m’endors avant la fin ! (oui je sais elle n’est pas nouvelle  celle-là…).

 Nath et Steph. Au dernier recensement nous nous occupions de 470 brebis et 700 agneaux.

 Nous ne désirons pas agrandir l’exploitation.

 La gestion peut encore être rationalisée, pas industrialisée.

 Nous tenons beaucoup à bien connaître nos bêtes, à garder un contact direct.

 Nous gardons des liens forts avec elles.

 C’est important pour notre type d’activité de savoir conserver une taille humaine, dans un environnement sain, et ça nous passionne.

 

VePM             Et j’imagine que vous reconnaissez toutes vos bêtes et les appelez par leur petit nom .. Le matin, chacune reçoit un petit bisou sur le front, un petit coup de brosse sur la tête; ou c’est ma vision de citadin? Vous avez vos chouchoutes?

Nath et Steph     Bien sûr ! Les bêtes nous connaissent, viennent vers nous, se sentent en confiance. Elles viennent quémander leur petit câlin, les caresses, on leur fait des massages, comme une maman. Plus elles approchent de la fin de la gestation, plus elles sont câlines …

Et on doit absolument garder du temps pour ça. Nous donnons aux agneaux en moyenne 70 biberons par jour au printemps, et jusqu’à 150 l’hiver…  ça crée des liens, c’est très important.

(bruits de cuillères sur la tarte à la rhubarbe d’Annie)

 VePM             Et combien de béliers pour courtiser toutes ces demoiselles? Ce n’est pas un peu le Paradis pour eux ? Ou l’Enfer … 

Nath et Steph Le Paradis … au début. Les demoiselles sont bien capables de harceler les pauvres messieurs.. et ils ne sont que 11!

 Elles leur font du charme, mais peuvent se trémousser devant eux, et plus si affinités, quand ça veut pas, ça veut pas …

Ils font environ 120 kilos, on les garde 3 ans en moyenne pour éviter la consanguinité. Ils sont gentils et dociles, on leur fait des petits massages !  

 

 VePM  On peut imaginer la quantité de nourriture que tout le cheptel va absorber. Vous consommez combien de tonnes de fourrage chaque année? 

Nath et Steph Il faut bien compter 250 tonnes, que nous produisons en général nous-mêmes, plus des concentrés de céréales, en granules.

Et après il faut bien, disons, évacuer ! Environ  50 épandeurs de fumier vont repartir dans les champs.

 

VePM            Et la nourriture, c’est scientifique? Un gros ordinateur va venir la nuit remplir les mangeoires?

Nath et Steph Pas du tout, c’est très personnalisé. Nous déterminons nous-mêmes les quantités pour les agneaux d’engraissement, en les palpant. Tout au feeling. Ils doivent atteindre 40/45 kilos pour partir. On surveille de près le sevrage, les besoins en vermifuges.

 

VePM             Vous emmenez le matin les brebis en pâture, et vous les rentrez  la nuit, pourquoi?  

Nath et Steph Nous craignons les prédateurs, les lynx par exemple. Les agneaux restent près de la bergerie. Il y a parfois des naissances dans les prés, et on doit rapporter les agneaux. Et c’est lourd! Quand on peut anticiper on prend la remorque.

Les brebis se sentent rassurées par la présence humaine, le soir elles ont tendance à se rapprocher des habitations. De plus trop laissées à elles-mêmes elles redeviennent un peu sauvages et se laissent moins approcher.

 

VePM             Et quand il pleut? Question purement théorique, ça n’arrive jamais dans le Jura!

Nath et Steph Les brebis à priori ne craignent pas trop la pluie, ça ne les gêne qu’un peu. Les petits un peu plus. Mais elles risquent de prendre froid, la laine met longtemps à sécher, et ça va plus vite à l’intérieur de la bergerie. L’herbe mouillée n’est pas ce qu’il y a de meilleur mais en temps normal les averses ne sont pas un très gros problème. Mais ces jours on a quand même envie de faire la danse du Soleil !!

 

VePM             Une question me travaille… je vois régulièrement passer le troupeau devant chez moi, suivi de ces demoiselles qui papotent tranquillement, et des chiens qui tournent autour de l’ensemble. Dîtes-moi: vous exploitez de nombreux pâturages. Comment les brebis savent-elles dans lequel elles trouveront pitance aujourd’hui? Stéphanie m’a dit une fois «on leur dit avant de partir» mais il m’a semblé déceler dans sa phrase un soupçon d’ironie … Dîtes-moi tout.

Nath et Steph  Oui on se moquait un peu !

En fait quand on va vers Marigna, à la Donchère, il n’y a qu’un pré, et elles l’aiment bien, donc pas de problème. Si on les dirige vers la forêt il y a 3 pâturages et on doit les aiguiller vers celui que nous avons choisi, en passant devant le troupeau. Et on a nos chiens … ils font un boulot impressionnant.  Tino et Mia sont des borders, ils ont l’instinct. Mais on doit quand même leur faire suivre une période de dressage. Et on leur donne des directives.

 

VePM            La laine? Vous avez récemment tondu toute la bande, vous faîtes quoi avec la laine? Vous la cardez, puis vous la filez et la teintez, vous en faites des pelotes pour occuper vos soirées.. pour la revendre à Bergères de France ? Ça doit en faire des sous tout ça? 

Nath et Steph  On a tondu toutes les demoiselles fin avril, de façon à ce que la laine repousse et les protège du soleil l’été. Car elles craignent les coups de soleil !

Pour le traitement de la laine on aimerait bien faire, comme tu l’imagines mais ça prendrait du temps! Malheureusement au fil des années, contrairement à ce que tu as l’air de penser, les débouchés pour la laine se sont raréfiés. Le marché est bloqué, et ça se vend difficilement. Il n’y a plus de petites filatures dans nos régions. Jadis ça pouvait faire un bon revenu avec la laine, puis on a dû la donner au tondeur en paiement de ses services. Par la suite il fallait en plus payer le tondeur!

 Alors on stocke … 2020, 2021, une tonne à chaque fois! On explore des pistes alternatives. Aujourd’hui on va l’utiliser par exemple pour l’isolation, c’est un très bon matériau, ou pour les cultures hors-sol, ou pour faire d’excellentes couettes.

 

VePM             Pourtant un beau pull Vuitton en pure laine vierge, ça aurait de la gueule !

 Parlons de votre production. Je présume qu’il faut pas mal d’intervenants tout au long de la chaîne.

Nath et Steph On va d’abord préciser que nous travaillons volontairement sur un marché local. Tu peux imaginer tout l’amour qu’un éleveur va mettre à élever et soigner ses bêtes et nous ne voulons pas que nos animaux partent n’importe où.

C’est important de savoir quels vont en être les consommateurs. Voir partir 50 agneaux dans un camion vers un abattage à Castres, sans ne plus rien savoir, ça peut paraître stupide mais … nous, on n’aime pas …

Après l’abattoir les carcasses vont être transformées  à Poligny, où se trouvent les autoclaves, pour les verrines et navarins en conserves, mais aussi chez notre voisin Damien Roncalli, qui par ailleurs vend d’excellents produits dans la boutique qu’il vient d’ouvrir à Ugna. Il assure également en grande partie  la transformation, nous n’avons ni les installations (laboratoire aux normes) ni les compétences. C’est aussi pour nous un outil de gestion, nous contrôlons ainsi plus précisément nos prix de revient.

Le lecteur trouvera sur Facebook nos listes de produits, et la façon de nous contacter et de se les procurer, cherchez la ‘Ferme de la Bélinette’. Et on a attaché une copie de notre offre au texte de cet entretien.

Nous pratiquons beaucoup la vente directe. Plus de contacts, plus d’info sur la satisfaction des utilisateurs, c’est aussi plus sympa.

 Nous passons également par les supermarchés Super U et sommes présentes sur les marchés paysans locaux chaque fois que la charge de travail nous en laisse le loisir, et participons aux initiatives régionales de producteurs, telles que la Ferme de Suzon !

 Toute la production est vendue, on produit juste ce qu’il faut, on n’a pas senti de creux, confinement ou pas. De toutes façons ce sont les béliers qui décident, on ne leur donne pas d’hormones, va donc anticiper ! Et il faut que les béliers ne soient pas stressés,  dynamiques, si l’on ose dire ! 

 

VePM             Vous envisageriez une diversification?

Nath et Steph De temps en temps on aimerait bien  faire du fromage, pourquoi pas. Mais on travaille déjà 12 à 15 h par jour ! Et  ça suppose un investissement, des installations de traite, de l’équipement. Mais l’idée nous travaille quand même. On va s’y intéresser!

Nous n’habitons plus sur place, et devons assurer une surveillance étendue pour ensuite dormir ensuite sur nos deux oreilles! Et on va mettre un beau panneau sur la départementale 109 pour faire un peu de pub, reste juste à trouver où…

Nos projets?    Mais on est déjà largement occupées ! On sait pourquoi on se lève le matin..

Quand on a soulevé 50 seaux de 10 kilos, 6 bottes de 300 kilos de foin et paille, des tonnes d’eau, ça calme pour les projets d’avenir … donc on essaye de s’épargner les trop gros efforts physiques à coup d’aménagements, pour les tâches liées à l’alimentation. On limite également les astreintes.

Et nos brebis sont là si nécessaire pour l’entretien de vergers..

 

VePM             Et le bio, vous y pensez?

Nath et Steph Bien sûr, il y a longtemps que cela nous intéresse, étant donné que l’on n’emploie pas de produits phytosanitaires (pesticides) sur nos champs et que l’on utilise de plus en plus de produits d’origine naturelle sur nos animaux (charbon végétal, argile, vinaigre, huiles essentielles…)

Mais une chose nous contrarie avec le bio en ovins (moutons), c’est l’interdiction d’utilisation de lait en poudre pour les petits agneaux. Et comme chez l’humain, les mères n’ont pas toujours suffisamment de lait maternel pour nourrir leur enfant.. Hé bien pour les brebis c’est pareil ! Et en plus elles peuvent en avoir jusqu’à 4 par portée! Alors sans notre aide avec nos biberons de lait artificiel, les petits ne survivraient pas.

                          Donc le bio, pour nous, c’est notre philosophie, sans l’estampille !!!

 

 VePM            Et tout ça vous laisse du temps pour une vie privée! Vous construisez en même temps harmonieusement vos familles, et c’est le plus important..

Et le bébé Nathalie,  il court déjà partout  ? On le verra bientôt gambader derrière le troupeau ?  Oui 6 mois c’est peut-être un peu tôt

  Avec tous ses petits-enfants Rémy va le sentir passer à Noël … 5 au total  !

Je n’ose pas  proposer l’apéro à des jeunes femmes, surtout puisque vous retournez maintenant au travail !  Merci de votre temps, et pour toutes les informations intéressantes sur la vie des bergères que vous nous avez apportées. Finalement c’est quand même bien un peu comme dans les contes …

Je suis certain que ces quelques lignes vont susciter des vocations, tellement on sent de dynamisme et de passion quand vous parlez de votre travail..

Nath et Steph     Merci beaucoup VePM, on attend maintenant l’article avec impatience. A bientôt …

 

 

 

 

 

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