Prisonniers à Fétigny

prisonnier

Article rédigé par Lili Paget dans le n° 141 de L’Echo : Prisonniers à Fétigny (p 32-33).

 

En 1944, un camp de prisonniers a été construit à Fétigny. Un épisode peu connu de la seconde guerre mondiale.(1)

J’avais 15 ans quand j’ai vécu cet épisode, peu connu, durant la guerre de 1939 – 1945. Un camp de prisonniers au village de Fétigny a du être un grand événement à l’époque pour le maire et la municipalité du moment. En cette fin d’été 1944, la fin de la guerre était proche, les troupes Allemandes étaient chassées de bien des coins de France, et ce fait d’histoire est arrivé après la libération de Lons le Saunier le 24 août 1944, et la suite des combats dans l’Est de la France. Un groupe de deux cents hommes environ, Russes de Géorgie, enrôlés dans l’armée Allemande, peut-être de force mais portant l’uniforme , se sont rendus sans combattre à l’armée de libération FFI (Forces Françaises de l’Intérieur).
Ils ont été ensuite
convoyés au village de
Fétigny, où ils ont
construit leur camp
de prisonniers au
lieu-dit « Grand Pré »,
propriété d’Henri Babey.
Pourquoi avoir choisi
ce lieu ? Impossible de
le savoir, mais le pré
était grand et tout
plat, en plus il était caché du village et du passage sur la route en direction d’Orgelet.
J’étais dans ma quinzième année à l’époque et je me rappelle très bien ces quelques mois où ces hommes
sont restés à Fétigny. Durant la construction des baraquements du camp, qui était grillagé sur 4 m environ de hauteur, les prisonniers dormaient au-dessus du village au lieu-dit « Le Moulin » où il existe toujours
plusieurs bâtiments, et le matin ils retournaient travailler à la construction du camp. Dans le secteur,
c’était un événement qui amenait de nombreux curieux, surtout le dimanche. Les prisonniers étaient gardés par les FFI, sous les ordres d’un capitaine qui logeait au village à côté du mess des officiers, et un commandant venait de temps en temps en visite..
Des interrogatoires avaient lieu dans la grande maison Déprez-Humbert. Je me souviens très bien : les hommes étaient en rang dans la cour attendant leur tour. Ce qui m’avait frappé c’est d’en voir pleurer. Sans doute pensaient-ils à leur famille, leur femme, leurs enfants, mais surtout à leur avenir car ils devaient bien se rendre compte de la situation où ils se trouvaient.
Après quelque temps, certains ont pu aller travailler à l’extérieur dans les fermes. A l’époque tout le monde
était agriculteur, donc les habitants de Légna et Fétigny en profitèrent sans problème, mais seuls les Géorgiens étaient autorisés à sortir du camp.
Ceux qui venaient travailler à Légna, je me souviens que l’on allait les chercher le matin, à pied bien sûr, à
cette époque c’était la coutume. Nous les ramenions le soir à la tombée de nuit, ils parlaient beaucoup entre eux et parfois ils chantaient en marchant. Comme tous nous en avions un à la maison, il s’appelait Claro
Altounachevili, il était menuisier de métier. Il aidait mon père aux champs pour rentrer les pommes de terre, les betteraves et fendait le bois pour l’hiver. Ce qu’il appréciait le plus c’était les repas à la table familiale, il
était mieux qu’au camp où la nourriture n’abondait pas.
Les gens qui allaient voir le camp leur lançaient des pommes ou du pain , ils étaient comme des enfants
auxquels l’on aurait jeté des bonbons. J’en avais profité pour apprendre quelques mots russes.

C’est vers le milieu de novembre qu’ils partirent à pied à Lons-le- Saunier avant l’arrivée de l’hiver.
Ensuite, ils ont rejoint Marseille pour prendre le bateau. A l’époque chacun avait des plants de tabac
dans les jardins, la crise était dure pour les gros fumeurs. On récupérait les feuilles qui jaunissaient
et on les faisait tremper dans de l’eau une quinzaine de jours, cette eau ressortait noire comme du
purin, on enroulait les feuilles et on les coupait très fines une fois sèches. Claro qui comme ses
copains était privé de tabac, m’avait fait comprendre qu’il aurait aimé emporter le rouleau que j’avais
réalisé. Le matin de leur départ pour Lons-le-Saunier, ayant oublié le rouleau de tabac, j’avais fait
l’aller-retour en courant pour lui donner juste quand ils commençaient à se mettre en rangs 
pour partir. A son arrivée à Marseille avant de prendre le bateau, Claro avait envoyé une
carte à mes parents, sans doute aidé d’un gardien, les remerciant pour leurs bons soins, et pour
moi quelques mots en russe que j’avais pu déchiffrer. Que sont-ils devenus ensuite ?

Personne ne l’a jamais su. (2)

(1) Cet article est paru, sous une forme un peu différente, dans le journal Le Progrès.
(2) On sait aujourd’hui que ceux qui ont été prisonniers de guerre et sont revenus en URSS, ou dans un autre
pays du bloc soviétique, ont été fusillés. C’est une histoire terriblement tragique.

 

 

 

 

briquet prussien provenant du camp de Fetigny (L.RAMBOZ)

Partager sur les réseaux sociaux :